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Auxiliaires de l’armée macédonienne

Pour permettre la progression de l’expédition dans des terres souvent inconnues, l’armée d’Alexandre comprenait aussi des auxiliaires qui couvraient des fonctions aussi variées que celles d’interprètes ou de préparateurs d’étapes :

Bématistes : des marcheurs professionnels qui comptent les pas

Comme les indigènes ne savent pas compter, ou bien s’expriment en journées de marche, un corps spécial, celui des bèmatistes ou compteurs de pas est chargé de dénombrer les pas qu’il faut faire pour aller d’un campement à un autre. Ils comptent les stathmoï ou étapes. Leurs indications, enregistrées par ordre de la chancellerie, formeront la base de la géographie de l’Asie. On connaît le nom de quelques-uns de ces métreurs extraordinaires : Diognètos, Baeton, Amyntas. (1)

Baeton rédigea Les Étapes du voyage d’Alexandre, et Amyntas Les Étapes, où il donnait, outre les distances et les relais, des détails sur les productions et les habitudes locales. Le guide de voyage allait naître. (2)

Les courriers à pied dans la Grèce ancienne

Hermès, dieu des messagers – piédestal de la statue de Benvenuto Cellini : ‘Persée’ à Florence – Loge des Lansquenets

Hermès, dieu des messagers

En Grèce, les distances sont « évaluées en pas » (bèmatizein) par des marcheurs professionnels ou « bématistes » ; elles sont appréciées en « journées de marche », même dans l’Empire perse où avait pourtant été mis en place un système officiel de courrier à cheval particulièrement rapide.

Le métier de courrier existait en Grèce dès l’époque classique, mais il s’agit toujours de coureurs à pied. On appelait les meilleurs d’entre eux, ceux qui étaient chargés d’acheminer le courrier rapide, « coureurs journaliers », car ils accomplissaient une longue étape dans une journée au terme de laquelle ils confiaient le message à un autre coureur. Ce sont des coureurs de vitesse, que Platon distingue du « coureur de fond ». L’un d’eux, Philippidès, en 490, couvrit la distance de Sparte à Athènes (1140 stades, soit environ 202 kilomètres) en moins de vingt-quatre heures, bien que la route soit fort escarpée et difficile.(…)

À l’époque d’Alexandre, un de ses courriers se vantait de courir 240 kilomètres (la distance de Sicyone à Élis) en neuf heures ; sur un des monuments érigés en son honneur figure une roue ailée, surmontée de la couronne du vainqueur.

Statut diplomatique pour les courriers

Au début de l’époque classique, chaque cité recrutait ses courriers parmi les citoyens et elle leur reconnaissait un statut « diplomatique », celui de « héraut » ; à Argos, ils formaient un corps de métier. Puis la profession semble être devenue une spécialité des Crétois : Sparte en utilise en 363 et Alexandre y recourt quand il reconstitue un corps officiel de courriers sur le modèle du service à cheval des souverains perses. (…)

L’efficacité du système reposait entièrement en pays grec sur la qualité personnelle du coureur, sans le soutien d’aucune infrastructure. Mais certains surent se tailler une réputation internationale à l’échelle de la Méditerranée, comme ce Crison d’Himère (en Sicile), connu à Athènes à l’époque de Platon. (2)

Interprètes : une nécessité dans la vaste mosaïque de l’empire perse

Le bilinguisme fut toujours la caractéristique d’une élite « barbare », fascinée par le modèle gréco-romain. A l’époque de l’Anabase, les interprètes étaient des nobles perses du plus haut rang. (…)

Les marchands avaient fréquemment recours à des interprètes, dans la mesure où leurs affaires les menaient aux confins du monde connu, là où chaque tribu avait son propre dialecte. Il fallait sept interprètes aux trafiquants grecs des cités de la mer Noire, désireux de commercer avec l’arrière-pays, jusqu’à l’Oural, et 130 pour les négociants romains sur les rivages orientaux de la mer Noire, là où Strabon ne comptait que 70 idiomes différents. (…)

Les armées en campagne ne pouvaient, elles non plus, se passer d’interprètes : notables, transfuges ou esclaves que les hasards de la guerre et du voyage ramenaient dans leur patrie d’origine. (…) La cour du roi perse possédait également ses truchements, qui avaient eux aussi appris le grec auprès d’immigrés auxquels ils avaient été confiés dès leur plus jeune âge. Les cours hellénistiques conservèrent cette tradition. (…)

Les Grecs et les Romains qui firent l’effort d’apprendre une langue « barbare » demeurèrent des exceptions rarissimes ; outre les marchands déjà cités, on a gardé le souvenir de deux exilés : Thémistocle en pays perse et Ovide chez les Gètes. (2)

L’utilisation de la langue perse dans l’empire

Fragment de la charte de fondation du palais de Darius Ier, en vieux-perse - Règne de Darius Ier (522-486 av. J.-C.) – Musée du Louvre

Fragment de la charte de fondation du
palais de Darius Ier, en vieux-perse
Règne de Darius Ier (522-486 av. J.-C.)

Mis à part le cas spécifique des Sagartiens, nous n’avons aucune attestation d’une diffusion massive du parler perse parmi les peuples iraniens. D’où par exemple l’utilisation, par Alexandre, d’un interprète habile dans le maniement du parler (phônê) des habitants de Marakanda en Sogdiane (Arrien IV, 3.7). Au reste, tous les documents écrits postérieurs rendent compte de la vigueur des langues bactrienne ou sogdienne, ainsi que du maintien, en Iran oriental, de coutumes funéraires tout à fait distinctes des usages des Perses (décharnement des cadavres).

Dans ces conditions, le maintien du plurilinguisme nécessitait le recours à des interprètes. Ils étaient nombreux dans l’armée royale (e.g. Xénophon Anab. I, 2.17 ; 8.12). Ils l’étaient également à la cour centrale, ne serait-ce que lors des réceptions d’ambassadeurs étrangers : au reste, lors de sa première audience, Thémistocle s’adressa au Grand Roi par l’intermédiaire d’un interprète (Thém. 28.1).

De même, l’intervention d’interprètes est attestée par Hérodote entre Cyrus et Crésus (I, 86) ou entre Darius et des Grecs (III, 38) : manifestement, Darius Ier n’avait pas pris la peine d’apprendre le grec, contrairement à ce que fit son lointain successeur Darius III (du moins selon Quinte-Curce V, 11.4).

Sans doute des Perses ont-ils appris de leur côté à manier des langues locales, tel ce Perse qui s’exprime en grec, lors du banquet organisé à Thèbes en 479 en l’honneur de Mardonios. (Hérodote IX, 16), ou ce Patégyas qui, dans l’entourage de Cyrus le Jeune, sait assez de grec pour donner un ordre aux mercenaires (Xénophon, Anab. I, 8.1). Mais soulignons qu’à la fin du Ve siècle, le satrape Tissapherne utilise un interprète pour communiquer avec les Grecs (Xénophon, Anab. II, 3.17).

Une tablette babylonienne, datée (par hypothèse) des débuts du Ve siècle, paraît indiquer que la connaissance des langues locales n’était pas très répandue chez les Perses. Elle enregistre des rations versées à une série de personnages, dont la plupart sont des Perses, manifestement de haut rang (l’un d’entre eux, Ustânu n’est probablement personne d’autre que le satrape de Babylonie et d’Ebir Nâri) : il est possible que ces Perses aient transité en Élam et en Babylonie, ou y aient accompli une mission. Toujours est-il qu’on y mentionne un scribe-interprète (Liblut), le traducteur (Mardukâ) attaché au service d’Ustânu ainsi que l’interprète (Bêl-itannu) d’Artapâti.

Apparemment, ces Perses étaient incapables de communiquer directement avec leurs administrés, et devaient faire appel, pour ce faire, à l’intermédiaire d’interprètes babyloniens. Il est vrai que le document peut donner lieu à d’autres interprétations : ou bien les Perses, capables de dire quelques mots en babylonien, ne maîtrisaient pas suffisamment la langue pour donner des ordres précis ; ou bien encore ils tenaient à parler perse, pour conserver leur statut de prestige ; ou bien encore le terme utilisé (sipîru) pour qualifier les collaborateurs des Perses renvoie d’abord à leur fonction de secrétaire, qui n’est pas liée nécessairement avec une qualité de traducteur-interprète. (3)

(1) Paul Faure - La vie quotidienne des armées d’Alexandre
(2) Jean-Marie André / Marie-France Baslez - Voyager dans l’Antiquité
(3) Pierre Briant - Histoire de l'Empire perse


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